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Jurisprudence

Le point de départ du délai d’appel en vertu de la Loi sur le divorce

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, la Cour d’appel ne s’était jamais prononcée sur le point de départ du délai d’appel d’un jugement rendu en vertu de la Loi sur le divorce. C’est maintenant chose faite. Dans Droit de la famille — 222215, 2022 QCCA 1719, la Cour juge que la Loi sur le divorce s’applique prioritairement au Code de procédure civile pour fixer le point de départ du droit d’appel… sous réserve des commentaires ci-dessous.

Faits

Le 10 août 2022, la juge de première instance prononce le divorce des parties et rend les ordonnances accessoires à ce divorce. L’avis de jugement est daté du 19 septembre 2022 et l’appelante produit un appel le 19 octobre 2022. L’intimé prétend que l’appel est tardif puisqu’il aurait dû être déposé dans les 30 jours du jugement et non dans les 30 jours de l’avis de jugement.

Décision

La Cour devrait trancher si le point de départ du délai d’appel était régi par le Code de procédure civile ou par la Loi sur le divorce. L’article 360, al. 1 C.p.c. prévoit que l’appel doit être produit « dans les 30 jours de la date de l’avis du jugement ». Cette règle permet souvent de reporter le point de départ du délai d’appel, puisque les greffes prennent souvent plusieurs jours (voir semaines) après la signature d’un jugement pour émettre l’avis de jugement. Or, l’article 21(3) de la Loi sur le divorce prévoit plutôt « [qu’i]l ne peut être fait appel d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi plus de trente jours après le jour où elle a été rendue », sans faire référence à un avis de jugement. De même, l’article 21(2) de cette même loi prévoit « [qu’i]l ne peut être fait appel d’un jugement qui accorde le divorce à compter du jour où celui-ci prend effet », soit généralement 31 jours après le prononcé du divorce (art. 12(1) Loi sur le divorce).

La Cour d’appel juge que les dispositions du Code de procédure civile sont incompatibles avec celles de la Loi sur le divorce. Le principe de prépondérance fédérale et diverses dispositions législatives (art. 21(6) Loi sur le divorce; art. 517 C.c.Q.) indiquent de donner préséance à la loi fédérale dans une telle situation.

Finalement, la Cour applique aussi un tel raisonnement même si le jugement prononçant le divorce contient des conclusions qui ne relèvent pas de la Loi sur le divorce. Pour la Cour, il convient plutôt de « favoris[er] l’unicité de la procédure d’appel » (paragr. 30) et d’assujettir l’ensemble du jugement au même délai d’appel.

Commentaire

La décision de la Cour n’a rien de surprenant. Elle était déjà arrivée à la même conclusion sous l’ancien Code de procédure civile (Droit de la famille — 1551, [1992] R.D.F. 165 (C.A.)). Rien dans le nouveau Code ne pouvait modifier le principe de prépondérance fédérale et la clarté des dispositions sur l’appel de la Loi sur le divorce.

Cependant, la décision Droit de la famille — 222215 ne règle pas complètement la question des appels dans les cas de divorce. L’article 21(3) de la Loi sur le divorce qui prévoit le délai d’appel traite de « [l’]appel d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi ». Qu’est-il des décisions rendues dans une instance en divorce qui ne constituent pas à proprement parler une « ordonnance »? On peut penser par exemple au rejet d’un moyen préliminaire ou interlocutoire rendu en vertu du Code civil du Québec. Y a-t-il là une « ordonnance »? La Loi sur le divorce semble apporter une distinction entre en général les jugements (art. 21(1)) et les ordonnances (art. 21(3)). Si l’article 21(3) ne s’applique véritablement qu’aux ordonnances rendues en vertu de la Loi sur le divorce, il reste possible que le Code de procédure civile s’applique pour en appeler d’un jugement qui, bien que rendu dans une instance en divorce, ne se prononce pas sur le divorce lui-même ni sur des mesures accessoires.

Pour consulter la décision complète : Droit de la famille — 222215, 2022 QCCA 1719.

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Synthèse

Le droit d’appel d’une décision en rétractation de jugement

On nous a récemment posé la question du droit d’appel applicable en matière de rétractation de jugement. Peut-on porter un tel jugement en appel ? Si oui, dans quelles circonstances ?

D’abord quelques mots sur la rétractation de jugement. Il s’agit d’une procédure qui vise à anéantir un jugement déjà rendu pour certains motifs précis, comme la découverte d’une nouvelle preuve ou le fait qu’une partie a été condamnée injustement par défaut (art. 345 et 346 C.p.c.).

La rétractation procède en deux ou trois étapes (voir : Canadian Royalties inc. c. Mines de nickel Nearctic inc., 2017 QCCA 1287).

À la première étape (appelée la « réception »), le juge doit vérifier la suffisance générale des motifs au soutien de la rétractation (délais respectés, motifs suffisants pour rétracter et sérieux des moyens de défense). Il s’agit d’une étape préliminaire qui ne lie pas le juge du fond. Si, à cette étape, le juge estime les motifs suffisants, il suspend les effets du jugement initial, remet les parties dans l’état antérieur à ce jugement et invite les parties à convenir d’un nouveau protocole de l’instance pour reprendre le dossier.

Aux deuxième et troisième étapes, un juge entendra les motifs au soutien de la demande de rétractation et rendra un nouveau jugement sur le fond du dossier s’il accepte la demande de rétractation. Cette étape peut se faire en une seule audience ou être scindée pour tenir une instruction distincte sur les motifs de la rétractation (le « rescindant ») et le fond du dossier (le « rescisoire »).

Le droit d’appel dépend du type de jugement dont on souhaite la rétractation : s’agit-il d’un jugement mettant fin à l’instance ou d’un jugement en cours d’instance ? La qualification d’un jugement sur la rétractation suit la qualification du jugement initial dont on demande la rétractation (Daniel c. Ville de Mont-Saint-Hilaire, 2021 QCCA 20, paragr. 9)

Rétractation d’un jugement mettant fin à l’instance

Dans la plupart des cas, les demandes de rétractation visent des jugements mettant fin à l’instance (en d’autres mots : le jugement final dans un dossier). Dans ce cas, le droit d’appel dépend de l’étape à laquelle la décision est rendue : au stade de la réception ou au fond de la demande de rétractation ?

Réception (art. 348, al. 1 C.p.c.)

Au stade de la réception, le droit d’appel dépend de l’issue du jugement.

Dans le cas où le juge accueille une demande de rétractation au stade de la réception, la possibilité de porter cette décision en appel est mince, voire nulle. Il s’agit d’un jugement rendu en cours d’instance (Picard c. Picard, 2018 QCCA 1241, paragr. 16), puisque le dossier se poursuivra dorénavant sur le fond de la rétractation. Le jugement ne peut être donc porté en appel que s’il décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie (art. 31, al. 2 C.p.c. ; Joseph c. St-Preux, 2008 QCCA 271 ; Hudon v. Tremblay, [1931] R.C.S. 624). Or, le fait de devoir reprendre un dossier et subir un second procès n’est pas considéré comme un préjudice irrémédiable (Teixera c. Fuentes, 2018 QCCA 849). L’étape de la réception ne lie pas le juge du fond et donc ce jugement ne décide rien quant au litige lui-même (Corporation Capital Cliffton inc. c. Jean-Pierre, 2010 QCCA 379).

Dans le cas où le juge rejette la demande de rétractation au stade de la réception, il s’agit d’un jugement mettant fin à l’instance, puisque le jugement initial conserve sa force jugée (Corporation Capital Cliffton inc. c. Jean-Pierre, 2010 QCCA 379, paragr. 7. Voir, par exemple : Benoît c. Hoang, 2021 QCCA 443). Le droit d’appel dépend donc du type de jugement dont la partie souhaitait rétracter (Préfontaine c. Préfontaine, 2008 QCCA 1098, paragr. 2). Selon le montant en litige ou le type de jugement, l’appel sera de plein droit (art. 30, al. 1 C.p.c. Voir par exemple : Droit de la famille — 1137, 2011 QCCA 83, paragr. 7-8 ; Dupérré (Succession de) c. Claveau, 2016 QCCA 1819) ou sur permission (art. 30, al. 2 C.p.c. Voir par exemple : Bowles c. Commission des normes du travail, J.E. 98-583 (C.A.)).

Audience au fond (art. 348, al. 2 C.p.c.)

Si la demande de rétractation est jugée au fond, le droit d’appel sera déterminé par l’article 30 C.p.c. Ainsi, selon le montant en jeu et la nature, l’appel sera de plein droit (art. 30, al. 1 C.p.c.) ou sur permission (art. 30, al. 2 C.p.c.). Voir par exemple : 9157-8989 Québec inc. c. Déneigement Montréal inc., 2022 QCCA 613 ; Droit de la famille — 22929, 2022 QCCA 779).

Dans le cas où deux audiences distinctes se tiendraient, l’une pour les motifs de rétractation (« rescindant ») et l’autre sur le fond (« rescisoire »), il faut utiliser les principes applicables en matière de scission d’instance. En ces matières, le premier jugement doit être porté en appel s’il « décide en partie du litige » au sens de l’article 31, al. 2 C.p.c. (Droit de la famille — 161983, 2016 QCCA 1314). Si la rétractation est rejetée au stade du rescindant, cela décide évidemment d’une partie (voir de tout) le litige (voir, à titre d’exemple : Zhang c. Jian, 2016 QCCA 1713). La situation est plus délicate si le juge accueille le rescindant lors d’une première audience et permet au requérant de plaider le rescisoire lors d’une deuxième audience. Une formation de la Cour a déjà tranché sans explication qu’un tel jugement n’était pas susceptible d’appel (Droit de la famille — 123348, 2012 QCCA 2106). Or, la juge Savard considère que cette question n’est pas tranchée (Canadian Royalties Inc. c. Mines de nickel Nearctic inc., 2016 QCCA 2050, paragr. 9. Voir aussi : Axa Assurances inc. c. GSW inc., 2008 QCCA 1543, paragr. 25). Nous sommes d’avis qu’un tel jugement doit être porté en appel immédiatement. Si le juge tranche de manière définitive le débat sur le rescindant, il ne sera pas possible lors de l’audience subséquente de remédier à cette détermination juridique. À l’instar de la plupart des cas de scissions d’instance, le premier jugement doit être porté en appel immédiatement. C’est ce que la jurisprudence laisse implicitement entendre en matière de rétractation, malgré la décision Droit de la famille — 123348 (voir : Droit de la famille — 121506, 2012 QCCA 1132 ; Foy St-Pierre c. Galarneau, 2013 QCCA 1480). Cet appel se fait nécessairement sur permission (art. 31, al. 2 C.p.c.).

Rétractation d’un jugement en cours d’instance

Pour les demandes de rétractation d’un jugement rendu en cours d’instance, la situation est similaire que pour un jugement mettant fin à l’instance, outre que là où les critères de l’article 30 s’appliquent, il faut dorénavant utiliser les critères de l’article 31. Ainsi, pour un jugement en cours d’instance, le droit d’appel est toujours sujet à l’article 31 C.p.c. (Ector c. Laprade, 2020 QCCA 244). Il faut donc, outre des cas exceptionnels (art. 31, al. 1 C.p.c.), demander une permission pour interjeter appel.

Pour ce qui est des jugements qui accueillent la rétractation au stade de la réception ou au fond du rescindant, la jurisprudence analysée ci-haut conserve ici sa pertinence puisqu’ils sont aussi soumis au même critère de l’article 31, al. 2 étant tous des jugements rendus en cours d’instance.

Pour les autres cas de figure, la possibilité d’obtenir la permission d’en appeler dépend de l’effet du jugement sur la rétractation. Décide-t-il « en partie du litige » ou cause-t-il « un préjudice irrémédiable à une partie » (art. 31, al. 2 C.p.c.)?

À titre d’exemple, la rétractation d’un jugement portant sur une déclaration d’inhabilité d’avocat peut se voir accorder une permission d’en appeler puisque cela cause un préjudice irrémédiable (Stratis c. Lessard, 2019 QCCA 1528, paragr. 5). De même, un jugement refusant de rétracter la cassation d’une saisie avant jugement est un jugement irrémédiable (Haq c. Khan, 2016 QCCA 204, appel accueilli, 2016 QCCA 1386).

En revanche, un refus de rétracter un bref d’assignation à comparaitre pour outrage au tribunal ne décide pas en partie du litige (Knafo c. Knafo, 2018 QCCA 2243, paragr. 8), puisque le fond doit encore être entendu. De même, une rétractation rejetée d’un jugement qui relève du défaut de comparaitre ne décide pas en partie du litige (Tremblay c. Peluso, 2011 QCCA 1072).

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Jurisprudence

La collaboration lors d’une demande à la Cour d’appel de suspendre l’exécution provisoire

La décision C.C. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), 2020 QCCA 1543, n’a rien d’inédit quant à l’application des critères connus (et difficiles) pour l’octroi d’une permission d’en appeler d’une ordonnance de sauvegarde (art. 31 C.p.c.). Par contre, la juge Gagné passe quelques commentaires aux avocats un peu trop pressés d’exécuter provisoirement un jugement.

Faits

Le CIUSSS MCQ demande à la Cour supérieure d’ordonner le transfert en CHSLD de C.C. Le matin du procès, les avocats de C.C. demandent une remise. Le juge Geoffrey entend brièvement la preuve, accorde la remise, mais prononce une ordonnance de sauvegarde pour transférer tout de même C.C. en CHSLD en attendant l’audience. L’ordonnance est déclarée exécutoire nonobstant appel.

Le lendemain, les avocats de C.C. indiquent à la partie adverse avoir l’intention de faire appel et de demander la suspension d’exécution provisoire, ce qu’ils font le surlendemain. Trop tard : au moment de l’audience devant la juge d’appel, 48 h après la décision, C.C. a déjà été transféré.

Décision et commentaire

La juge Gagné critique l’intransigeance des avocats d’avoir exécuté l’ordonnance de sauvegarde, malgré l’intention claire des avocats de C.C. d’en demander la suspension : « [c]e manque de déférence et cet empressement à court-circuiter la procédure d’appel doivent être dénoncés » (paragr. 11). Bref, en l’absence d’indication d’extrême urgence, une partie ne devrait pas exécuter un jugement dans les heures qui suivent son prononcé, lorsque l’autre partie manifeste son intention d’en demander la suspension d’exécution provisoire promptement. Il s’agit d’un bon exemple de l’obligation de bonne foi et de coopération procédurale (art. 19 et 20 C.p.c.).

Pour consulter la décision complète : C.C. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), 2020 QCCA 1543.

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Jurisprudence

L’impossibilité d’agir doit être démontrée avant et après la période de suspension des délais civils

Dans Ewert c. Lalande, 2020 QCCA 1141, la Cour d’appel analyse l’impact de la suspension des délais civils durant l’état d’urgence sanitaire lorsqu’une personne prétend avoir été dans l’impossibilité de déposer un appel à l’intérieur du délai normal.

Faits

Le 28 novembre 2019, le jugement de première instance est rendu et le 27 décembre 2019, l’appelant produit un avis d’appel, c’est-à-dire dans les 30 jours du jugement. Or, en vertu de la décision Snooks c. Procureur général du Canada, 2020 QCCA 586, en matière carcérale, pour les demandes d’habeas corpus visant un transfèrement non sollicité, le délai d’appel est de 10 jours en vertu l’article 361 du Code de procédure civile et non 30 jours comme c’est le cas en matière criminelle. L’appelant a donc produit son appel hors délai.

Le 28 juin 2020, l’appelant réagit en demandant de produire son appel hors délai. Or, à ce moment, l’appelant est à l’extérieur du délai de six mois pour ce faire (art. 363 C.p.c.).

Décision

La Cour précise d’abord — sans surprise — que la période d’urgence sanitaire (15 mars au 31 aout 2020) suspend la période de six mois pour demander la permission d’introduire un appel hors délai (art. 363 C.p.c.). Bref, à partir de mars 2020, l’appelant n’a plus à justifier son inaction.

Cependant, la Cour rappelle que cette suspension n’est valide que pour la période visée par le décret. Ainsi, si la période d’inaction se déroule avant ou après la période de suspension, la partie doit démontrer son impossibilité d’agir durant ces périodes. En l’espèce, l’appelant devait donc démontrer son impossibilité d’agir entre décembre 2019 et mars 2020 afin d’être autorisé à produire son appel hors délai. La Cour juge que cette démonstration a été faite. En raison de l’incertitude sur l’état du droit, il s’agit « d’une erreur excusable à l’égard du délai d’appel applicable. » (paragr. 16). L’incertitude n’a été levée qu’avec la décision Snooks c. Procureur général du Canada le 24 avril 2020.

Commentaire

La décision de la Cour est tout à fait justifiée. La période de suspension des délais n’excuse pas tout retard antérieur ou postérieur à la période. De même, il est intéressant que la Cour reconnaisse que l’incertitude sur l’état du droit quant au délai d’appel applicable constitue une impossibilité d’agir. N’eût été la conclusion sur ces aspects, il aurait été intéressant de savoir si la Cour aurait pu considérer, en vertu de la doctrine nunc pro tunc, le dépôt d’un avis d’appel comme une demande de permission d’en appeler hors délai. La jurisprudence ne semble pas encore avoir été confrontée à cette question.

Pour consulter la décision complète : Ewert c. Lalande, 2020 QCCA 1141.

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Législation

Projet de loi 75 – Modification du délai d’appel en matière d’outrage au tribunal

Le projet de Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19 (projet de loi no 75) apporte une modification bienvenue en matière d’appel d’un jugement condamnant une personne pour outrage au tribunal.

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, les différents jugements rendus dans une instance scindée doivent chacun faire l’objet d’appels intentés immédiatement après le jugement et non à la fin de l’instance. L’article 273.1 de l’ancien Code de procédure civile (1966-2015) prévoyait que tous les droits d’appel d’une instance scindée étaient reportés au moment du jugement final, mais cet article n’a pas été repris dans le nouveau Code.

Cette modification législative a été appliquée en matière d’outrage au tribunal (Douek c. Brossard, 2016 QCCA 1884). Elle a comme fâcheuse conséquence qu’une personne condamnée pour outrage au tribunal doit porter en appel la décision sur « culpabilité » alors qu’elle ignore la sanction qu’on lui imposera puisque cette audience ne s’est généralement pas encore tenue.

La modification législative proposée dans le projet de loi no 75 prévoit que le droit d’appel d’une personne condamnée pour outrage ne court qu’à compter du jugement qui impose la sanction. Si le projet de loi est adopté, l’article 61, al. 4 C.p.c. se lirait dorénavant comme suit :

61. […]
Le délai d’appel d’une déclaration d’outrage court à compter de la date de l’avis du jugement qui prononce la sanction ou de la date du jugement qui prononce la sanction si celui-ci a été rendu à l’audience.

Il s’agit d’une modification pertinente pour éviter que les justiciables soient obligés de porter préventivement un jugement en appel avant de connaître la décision qui importe le plus pour eux : l’imposition d’une sanction. Le projet de loi calque donc le principe qui s’applique pour l’appel d’une décision en matière criminelle.

Pour consulter le projet de loi : projet de Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19 (projet de loi no 75)

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Jurisprudence

L’impossibilité d’agir n’est pas nécessaire pour produire un appel incident hors délai

Dans Montambault c. Outfront Media Canada, 2020 QCCA 1145, la Cour d’appel clarifie une incertitude depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile : la partie qui souhaite produire un appel incident hors délai doit-elle démontrer l’impossibilité d’agir plus tôt? De l’avis de la Cour, ce critère exigeant n’est pas applicable en matière d’appel incident hors délai.

Faits

Montambault porte en appel une décision qui, de son avis, condamne insuffisamment Outfront Media Canada en dommages. Cette dernière demande le rejet préliminaire de l’appel, sans succès. Ce n’est qu’après le refus de la Cour de rejeter préliminairement l’appel qu’Outfront Media Canada dépose un appel incident. Or, le délai de 10 jours était à ce moment expiré. Rappelons que la requête en rejet d’appel ne suspend pas le délai pour produire un appel incident (Habitations Sydobert inc. c. Labre et Associés, Arpenteurs géomètres inc., 2018 QCCA 1687). Dans ce contexte, Outfront Media Canada devait-elle démontrer son impossibilité d’agir plus tôt pour justifier son retard?

Décision

La Cour d’appel juge que le critère de l’impossibilité d’agir, nécessaire pour produire un appel hors délai, ne s’applique pas en matière d’appel incident. D’abord, le texte du deuxième alinéa de l’article 363 C.p.c. semble exclure ce critère en permettant à la Cour d’autoriser un appel incident hors délai « si elle l’estime approprié ». Ensuite, l’importance d’assurer la stabilité des jugements, la raison d’être des délais d’appel, est moins forte lorsqu’un appel est déjà engagé sur un jugement.

La Cour d’appel juge donc qu’elle possède un pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non un appel incident hors délai. Ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer en fonction, notamment :

  • du motif du retard;
  • du comportement de la partie ou des avocats qui souhaite former tardivement un appel incident hors délai;
  • de la diligence dont cette partie et ses avocats font preuve pour remédier au défaut;
  • du moment où la demande est formulée dans le déroulement de l’appel;
  • du sérieux de l’appel incident proposé.

Commentaire

La décision est étonnante au regard de la jurisprudence très stricte de la Cour d’appel sur le respect des délais d’appel en matière civile. Elle repose néanmoins sur une certaine logique puisqu’une fois le dossier d’appel engagé, il est vrai que la rigueur du respect des délais est un principe moins déterminant. L’inapplicabilité du critère de l’impossibilité d’agir permet de tenir compte de la gravité du retard en fonction du cheminement procédural du dossier comme c’était le cas dans cette affaire.

Il reste que la possibilité de former un appel incident est toujours dépendante de l’existence d’un appel lui-même. Si l’appel tombe (par décision de la Cour ou volontairement), le droit à l’appel incident disparait et le critère de l’impossibilité d’agir resurgit.

Pour consulter la décision complète : Montambault c. Outfront Media Canada, 2020 QCCA 1145.

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Jurisprudence

Le type de procédure intentée par l’appelant peut déterminer le droit d’appel

L’affaire Racicot c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 656, a été connue dans l’actualité au printemps dernier puisque le demandeur se réclamait d’une procédure en habeas corpus pour faire cesser les mesures de confinement en vigueur au Québec.

La décision comporte toutefois un aspect visant le droit d’appel lorsqu’une personne prétend utiliser une procédure, mais se voit refuser cette procédure en première instance. En effet, le rejet d’une demande d’habeas corpus peut être appelé de plein droit, puisqu’elle vise l’intégrité de la personne (art. 30, al. 1 C.p.c.). Or, le juge de première instance (tout comme la Cour d’appel) refuse de reconnaitre qu’il s’agit d’une demande en habeas corpus.

La Cour d’appel accepte néanmoins d’entendre l’affaire de plein droit. Selon elle, l’appelante faisait une demande d’habeas corpus et celle-ci a simplement été rejetée. Cette décision peut contraster avec une certaine jurisprudence qui analysait la vraie nature d’une procédure afin de déterminer le droit d’appel (voir par exemple : LUQS inc. c. Autorité des marchés financiers, 2015 QCCA 413).

Pour consulter la décision complète : Racicot c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 656.

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Jurisprudence

Une partie ne peut demander que l’exécution partielle d’un jugement soit versée directement à son avocat

Dans Fondaction (Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux pour la coopération et l’emploi) c. Poutres Lamellées Leclerc inc., 2020 QCCA 569, la juge Gagné accueille une demande de suspension d’exécution d’un jugement le temps pour une partie de demander l’autorisation à la Cour suprême de porter appel. La juge tente de trouver un équilibre entre la partie souhaitant faire appel et celle subissant un autre report d’exécution du jugement… mais pas jusqu’à permettre que l’exécution partielle serve prioritairement à financer la défense en Cour suprême.

Faits

Les intimés obtiennent en première instance et en appel une condamnation des appelants pour divers abus commis dans le financement d’une société. La somme octroyée atteint près de 8 900 000 $ avec les intérêts. Les appelants souhaitent demander à la Cour suprême la permission d’en appeler. Les intimés se plaignent de voir se poursuivre un abus commis en 2001 en aggravant leur épuisement financier.

Décision

La juge Gagné accueille la demande de suspension d’exécution en rappelant les trois critères bien connus (questions sérieuses, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients). Elle rappelle que le risque de ne pouvoir recouvrer les sommes versées durant un appel à la Cour suprême constitue pour la partie condamnée un préjudice irréparable aux fins d’une demande de suspension du jugement de la Cour d’appel. À la lumière des dettes des intimés, ce risque semblait ici bien réel.

Afin d’éviter de voir prolonger leur épuisement financier, les intimés demandaient donc à ce que la juge « innove » en ordonnant aux appelants de verser une somme aux avocats des intimés pour assurer leur défense en Cour suprême. Or, la juge rappelle qu’il n’existe aucun droit substantif ni procédural à ce que l’avocat bénéfice directement d’une condamnation en faveur de son client, même quant aux frais de justice (art. 343 C.p.c.). On comprend aisément la demande des intimés : aux vues de leurs dettes importantes, il est fort à parier que toute exécution partielle profite à leurs nombreux créanciers, plutôt qu’à leur avocat.

La juge reste toutefois insensible à ses arguments, préférant une généreuse exécution partielle (près d’un million de dollars et les frais de justice en première instance), au versement de sommes directement aux avocats.

Pour consulter la décision complète : Fondaction (Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux pour la coopération et l’emploi) c. Poutres Lamellées Leclerc inc., 2020 QCCA 569.