Catégories
Législation

Projet de loi 75 – Modification du délai d’appel en matière d’outrage au tribunal

Le projet de Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19 (projet de loi no 75) apporte une modification bienvenue en matière d’appel d’un jugement condamnant une personne pour outrage au tribunal.

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, les différents jugements rendus dans une instance scindée doivent chacun faire l’objet d’appels intentés immédiatement après le jugement et non à la fin de l’instance. L’article 273.1 de l’ancien Code de procédure civile (1966-2015) prévoyait que tous les droits d’appel d’une instance scindée étaient reportés au moment du jugement final, mais cet article n’a pas été repris dans le nouveau Code.

Cette modification législative a été appliquée en matière d’outrage au tribunal (Douek c. Brossard, 2016 QCCA 1884). Elle a comme fâcheuse conséquence qu’une personne condamnée pour outrage au tribunal doit porter en appel la décision sur « culpabilité » alors qu’elle ignore la sanction qu’on lui imposera puisque cette audience ne s’est généralement pas encore tenue.

La modification législative proposée dans le projet de loi no 75 prévoit que le droit d’appel d’une personne condamnée pour outrage ne court qu’à compter du jugement qui impose la sanction. Si le projet de loi est adopté, l’article 61, al. 4 C.p.c. se lirait dorénavant comme suit :

61. […]
Le délai d’appel d’une déclaration d’outrage court à compter de la date de l’avis du jugement qui prononce la sanction ou de la date du jugement qui prononce la sanction si celui-ci a été rendu à l’audience.

Il s’agit d’une modification pertinente pour éviter que les justiciables soient obligés de porter préventivement un jugement en appel avant de connaître la décision qui importe le plus pour eux : l’imposition d’une sanction. Le projet de loi calque donc le principe qui s’applique pour l’appel d’une décision en matière criminelle.

Pour consulter le projet de loi : projet de Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19 (projet de loi no 75)

Catégories
Jurisprudence

L’impossibilité d’agir n’est pas nécessaire pour produire un appel incident hors délai

Dans Montambault c. Outfront Media Canada, 2020 QCCA 1145, la Cour d’appel clarifie une incertitude depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile : la partie qui souhaite produire un appel incident hors délai doit-elle démontrer l’impossibilité d’agir plus tôt? De l’avis de la Cour, ce critère exigeant n’est pas applicable en matière d’appel incident hors délai.

Faits

Montambault porte en appel une décision qui, de son avis, condamne insuffisamment Outfront Media Canada en dommages. Cette dernière demande le rejet préliminaire de l’appel, sans succès. Ce n’est qu’après le refus de la Cour de rejeter préliminairement l’appel qu’Outfront Media Canada dépose un appel incident. Or, le délai de 10 jours était à ce moment expiré. Rappelons que la requête en rejet d’appel ne suspend pas le délai pour produire un appel incident (Habitations Sydobert inc. c. Labre et Associés, Arpenteurs géomètres inc., 2018 QCCA 1687). Dans ce contexte, Outfront Media Canada devait-elle démontrer son impossibilité d’agir plus tôt pour justifier son retard?

Décision

La Cour d’appel juge que le critère de l’impossibilité d’agir, nécessaire pour produire un appel hors délai, ne s’applique pas en matière d’appel incident. D’abord, le texte du deuxième alinéa de l’article 363 C.p.c. semble exclure ce critère en permettant à la Cour d’autoriser un appel incident hors délai « si elle l’estime approprié ». Ensuite, l’importance d’assurer la stabilité des jugements, la raison d’être des délais d’appel, est moins forte lorsqu’un appel est déjà engagé sur un jugement.

La Cour d’appel juge donc qu’elle possède un pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non un appel incident hors délai. Ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer en fonction, notamment :

  • du motif du retard;
  • du comportement de la partie ou des avocats qui souhaite former tardivement un appel incident hors délai;
  • de la diligence dont cette partie et ses avocats font preuve pour remédier au défaut;
  • du moment où la demande est formulée dans le déroulement de l’appel;
  • du sérieux de l’appel incident proposé.

Commentaire

La décision est étonnante au regard de la jurisprudence très stricte de la Cour d’appel sur le respect des délais d’appel en matière civile. Elle repose néanmoins sur une certaine logique puisqu’une fois le dossier d’appel engagé, il est vrai que la rigueur du respect des délais est un principe moins déterminant. L’inapplicabilité du critère de l’impossibilité d’agir permet de tenir compte de la gravité du retard en fonction du cheminement procédural du dossier comme c’était le cas dans cette affaire.

Il reste que la possibilité de former un appel incident est toujours dépendante de l’existence d’un appel lui-même. Si l’appel tombe (par décision de la Cour ou volontairement), le droit à l’appel incident disparait et le critère de l’impossibilité d’agir resurgit.

Pour consulter la décision complète : Montambault c. Outfront Media Canada, 2020 QCCA 1145.