On nous a récemment posé la question du droit d’appel applicable en matière de rétractation de jugement. Peut-on porter un tel jugement en appel ? Si oui, dans quelles circonstances ?
D’abord quelques mots sur la rétractation de jugement. Il s’agit d’une procédure qui vise à anéantir un jugement déjà rendu pour certains motifs précis, comme la découverte d’une nouvelle preuve ou le fait qu’une partie a été condamnée injustement par défaut (art. 345 et 346 C.p.c.).
La rétractation procède en deux ou trois étapes (voir : Canadian Royalties inc. c. Mines de nickel Nearctic inc., 2017 QCCA 1287).
À la première étape (appelée la « réception »), le juge doit vérifier la suffisance générale des motifs au soutien de la rétractation (délais respectés, motifs suffisants pour rétracter et sérieux des moyens de défense). Il s’agit d’une étape préliminaire qui ne lie pas le juge du fond. Si, à cette étape, le juge estime les motifs suffisants, il suspend les effets du jugement initial, remet les parties dans l’état antérieur à ce jugement et invite les parties à convenir d’un nouveau protocole de l’instance pour reprendre le dossier.
Aux deuxième et troisième étapes, un juge entendra les motifs au soutien de la demande de rétractation et rendra un nouveau jugement sur le fond du dossier s’il accepte la demande de rétractation. Cette étape peut se faire en une seule audience ou être scindée pour tenir une instruction distincte sur les motifs de la rétractation (le « rescindant ») et le fond du dossier (le « rescisoire »).
Le droit d’appel dépend du type de jugement dont on souhaite la rétractation : s’agit-il d’un jugement mettant fin à l’instance ou d’un jugement en cours d’instance ? La qualification d’un jugement sur la rétractation suit la qualification du jugement initial dont on demande la rétractation (Daniel c. Ville de Mont-Saint-Hilaire, 2021 QCCA 20, paragr. 9)
Rétractation d’un jugement mettant fin à l’instance
Dans la plupart des cas, les demandes de rétractation visent des jugements mettant fin à l’instance (en d’autres mots : le jugement final dans un dossier). Dans ce cas, le droit d’appel dépend de l’étape à laquelle la décision est rendue : au stade de la réception ou au fond de la demande de rétractation ?
Réception (art. 348, al. 1 C.p.c.)
Au stade de la réception, le droit d’appel dépend de l’issue du jugement.
Dans le cas où le juge accueille une demande de rétractation au stade de la réception, la possibilité de porter cette décision en appel est mince, voire nulle. Il s’agit d’un jugement rendu en cours d’instance (Picard c. Picard, 2018 QCCA 1241, paragr. 16), puisque le dossier se poursuivra dorénavant sur le fond de la rétractation. Le jugement ne peut être donc porté en appel que s’il décide en partie du litige ou cause un préjudice irrémédiable à une partie (art. 31, al. 2 C.p.c. ; Joseph c. St-Preux, 2008 QCCA 271 ; Hudon v. Tremblay, [1931] R.C.S. 624). Or, le fait de devoir reprendre un dossier et subir un second procès n’est pas considéré comme un préjudice irrémédiable (Teixera c. Fuentes, 2018 QCCA 849). L’étape de la réception ne lie pas le juge du fond et donc ce jugement ne décide rien quant au litige lui-même (Corporation Capital Cliffton inc. c. Jean-Pierre, 2010 QCCA 379).
Dans le cas où le juge rejette la demande de rétractation au stade de la réception, il s’agit d’un jugement mettant fin à l’instance, puisque le jugement initial conserve sa force jugée (Corporation Capital Cliffton inc. c. Jean-Pierre, 2010 QCCA 379, paragr. 7. Voir, par exemple : Benoît c. Hoang, 2021 QCCA 443). Le droit d’appel dépend donc du type de jugement dont la partie souhaitait rétracter (Préfontaine c. Préfontaine, 2008 QCCA 1098, paragr. 2). Selon le montant en litige ou le type de jugement, l’appel sera de plein droit (art. 30, al. 1 C.p.c. Voir par exemple : Droit de la famille — 1137, 2011 QCCA 83, paragr. 7-8 ; Dupérré (Succession de) c. Claveau, 2016 QCCA 1819) ou sur permission (art. 30, al. 2 C.p.c. Voir par exemple : Bowles c. Commission des normes du travail, J.E. 98-583 (C.A.)).
Audience au fond (art. 348, al. 2 C.p.c.)
Si la demande de rétractation est jugée au fond, le droit d’appel sera déterminé par l’article 30 C.p.c. Ainsi, selon le montant en jeu et la nature, l’appel sera de plein droit (art. 30, al. 1 C.p.c.) ou sur permission (art. 30, al. 2 C.p.c.). Voir par exemple : 9157-8989 Québec inc. c. Déneigement Montréal inc., 2022 QCCA 613 ; Droit de la famille — 22929, 2022 QCCA 779).
Dans le cas où deux audiences distinctes se tiendraient, l’une pour les motifs de rétractation (« rescindant ») et l’autre sur le fond (« rescisoire »), il faut utiliser les principes applicables en matière de scission d’instance. En ces matières, le premier jugement doit être porté en appel s’il « décide en partie du litige » au sens de l’article 31, al. 2 C.p.c. (Droit de la famille — 161983, 2016 QCCA 1314). Si la rétractation est rejetée au stade du rescindant, cela décide évidemment d’une partie (voir de tout) le litige (voir, à titre d’exemple : Zhang c. Jian, 2016 QCCA 1713). La situation est plus délicate si le juge accueille le rescindant lors d’une première audience et permet au requérant de plaider le rescisoire lors d’une deuxième audience. Une formation de la Cour a déjà tranché sans explication qu’un tel jugement n’était pas susceptible d’appel (Droit de la famille — 123348, 2012 QCCA 2106). Or, la juge Savard considère que cette question n’est pas tranchée (Canadian Royalties Inc. c. Mines de nickel Nearctic inc., 2016 QCCA 2050, paragr. 9. Voir aussi : Axa Assurances inc. c. GSW inc., 2008 QCCA 1543, paragr. 25). Nous sommes d’avis qu’un tel jugement doit être porté en appel immédiatement. Si le juge tranche de manière définitive le débat sur le rescindant, il ne sera pas possible lors de l’audience subséquente de remédier à cette détermination juridique. À l’instar de la plupart des cas de scissions d’instance, le premier jugement doit être porté en appel immédiatement. C’est ce que la jurisprudence laisse implicitement entendre en matière de rétractation, malgré la décision Droit de la famille — 123348 (voir : Droit de la famille — 121506, 2012 QCCA 1132 ; Foy St-Pierre c. Galarneau, 2013 QCCA 1480). Cet appel se fait nécessairement sur permission (art. 31, al. 2 C.p.c.).
Rétractation d’un jugement en cours d’instance
Pour les demandes de rétractation d’un jugement rendu en cours d’instance, la situation est similaire que pour un jugement mettant fin à l’instance, outre que là où les critères de l’article 30 s’appliquent, il faut dorénavant utiliser les critères de l’article 31. Ainsi, pour un jugement en cours d’instance, le droit d’appel est toujours sujet à l’article 31 C.p.c. (Ector c. Laprade, 2020 QCCA 244). Il faut donc, outre des cas exceptionnels (art. 31, al. 1 C.p.c.), demander une permission pour interjeter appel.
Pour ce qui est des jugements qui accueillent la rétractation au stade de la réception ou au fond du rescindant, la jurisprudence analysée ci-haut conserve ici sa pertinence puisqu’ils sont aussi soumis au même critère de l’article 31, al. 2 étant tous des jugements rendus en cours d’instance.
Pour les autres cas de figure, la possibilité d’obtenir la permission d’en appeler dépend de l’effet du jugement sur la rétractation. Décide-t-il « en partie du litige » ou cause-t-il « un préjudice irrémédiable à une partie » (art. 31, al. 2 C.p.c.)?
À titre d’exemple, la rétractation d’un jugement portant sur une déclaration d’inhabilité d’avocat peut se voir accorder une permission d’en appeler puisque cela cause un préjudice irrémédiable (Stratis c. Lessard, 2019 QCCA 1528, paragr. 5). De même, un jugement refusant de rétracter la cassation d’une saisie avant jugement est un jugement irrémédiable (Haq c. Khan, 2016 QCCA 204, appel accueilli, 2016 QCCA 1386).
En revanche, un refus de rétracter un bref d’assignation à comparaitre pour outrage au tribunal ne décide pas en partie du litige (Knafo c. Knafo, 2018 QCCA 2243, paragr. 8), puisque le fond doit encore être entendu. De même, une rétractation rejetée d’un jugement qui relève du défaut de comparaitre ne décide pas en partie du litige (Tremblay c. Peluso, 2011 QCCA 1072).