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Jurisprudence

Le point de départ du délai d’appel en vertu de la Loi sur le divorce

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, la Cour d’appel ne s’était jamais prononcée sur le point de départ du délai d’appel d’un jugement rendu en vertu de la Loi sur le divorce. C’est maintenant chose faite. Dans Droit de la famille — 222215, 2022 QCCA 1719, la Cour juge que la Loi sur le divorce s’applique prioritairement au Code de procédure civile pour fixer le point de départ du droit d’appel… sous réserve des commentaires ci-dessous.

Faits

Le 10 août 2022, la juge de première instance prononce le divorce des parties et rend les ordonnances accessoires à ce divorce. L’avis de jugement est daté du 19 septembre 2022 et l’appelante produit un appel le 19 octobre 2022. L’intimé prétend que l’appel est tardif puisqu’il aurait dû être déposé dans les 30 jours du jugement et non dans les 30 jours de l’avis de jugement.

Décision

La Cour devrait trancher si le point de départ du délai d’appel était régi par le Code de procédure civile ou par la Loi sur le divorce. L’article 360, al. 1 C.p.c. prévoit que l’appel doit être produit « dans les 30 jours de la date de l’avis du jugement ». Cette règle permet souvent de reporter le point de départ du délai d’appel, puisque les greffes prennent souvent plusieurs jours (voir semaines) après la signature d’un jugement pour émettre l’avis de jugement. Or, l’article 21(3) de la Loi sur le divorce prévoit plutôt « [qu’i]l ne peut être fait appel d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi plus de trente jours après le jour où elle a été rendue », sans faire référence à un avis de jugement. De même, l’article 21(2) de cette même loi prévoit « [qu’i]l ne peut être fait appel d’un jugement qui accorde le divorce à compter du jour où celui-ci prend effet », soit généralement 31 jours après le prononcé du divorce (art. 12(1) Loi sur le divorce).

La Cour d’appel juge que les dispositions du Code de procédure civile sont incompatibles avec celles de la Loi sur le divorce. Le principe de prépondérance fédérale et diverses dispositions législatives (art. 21(6) Loi sur le divorce; art. 517 C.c.Q.) indiquent de donner préséance à la loi fédérale dans une telle situation.

Finalement, la Cour applique aussi un tel raisonnement même si le jugement prononçant le divorce contient des conclusions qui ne relèvent pas de la Loi sur le divorce. Pour la Cour, il convient plutôt de « favoris[er] l’unicité de la procédure d’appel » (paragr. 30) et d’assujettir l’ensemble du jugement au même délai d’appel.

Commentaire

La décision de la Cour n’a rien de surprenant. Elle était déjà arrivée à la même conclusion sous l’ancien Code de procédure civile (Droit de la famille — 1551, [1992] R.D.F. 165 (C.A.)). Rien dans le nouveau Code ne pouvait modifier le principe de prépondérance fédérale et la clarté des dispositions sur l’appel de la Loi sur le divorce.

Cependant, la décision Droit de la famille — 222215 ne règle pas complètement la question des appels dans les cas de divorce. L’article 21(3) de la Loi sur le divorce qui prévoit le délai d’appel traite de « [l’]appel d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi ». Qu’est-il des décisions rendues dans une instance en divorce qui ne constituent pas à proprement parler une « ordonnance »? On peut penser par exemple au rejet d’un moyen préliminaire ou interlocutoire rendu en vertu du Code civil du Québec. Y a-t-il là une « ordonnance »? La Loi sur le divorce semble apporter une distinction entre en général les jugements (art. 21(1)) et les ordonnances (art. 21(3)). Si l’article 21(3) ne s’applique véritablement qu’aux ordonnances rendues en vertu de la Loi sur le divorce, il reste possible que le Code de procédure civile s’applique pour en appeler d’un jugement qui, bien que rendu dans une instance en divorce, ne se prononce pas sur le divorce lui-même ni sur des mesures accessoires.

Pour consulter la décision complète : Droit de la famille — 222215, 2022 QCCA 1719.

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Législation

Projet de loi 75 – Modification du délai d’appel en matière d’outrage au tribunal

Le projet de Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19 (projet de loi no 75) apporte une modification bienvenue en matière d’appel d’un jugement condamnant une personne pour outrage au tribunal.

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, les différents jugements rendus dans une instance scindée doivent chacun faire l’objet d’appels intentés immédiatement après le jugement et non à la fin de l’instance. L’article 273.1 de l’ancien Code de procédure civile (1966-2015) prévoyait que tous les droits d’appel d’une instance scindée étaient reportés au moment du jugement final, mais cet article n’a pas été repris dans le nouveau Code.

Cette modification législative a été appliquée en matière d’outrage au tribunal (Douek c. Brossard, 2016 QCCA 1884). Elle a comme fâcheuse conséquence qu’une personne condamnée pour outrage au tribunal doit porter en appel la décision sur « culpabilité » alors qu’elle ignore la sanction qu’on lui imposera puisque cette audience ne s’est généralement pas encore tenue.

La modification législative proposée dans le projet de loi no 75 prévoit que le droit d’appel d’une personne condamnée pour outrage ne court qu’à compter du jugement qui impose la sanction. Si le projet de loi est adopté, l’article 61, al. 4 C.p.c. se lirait dorénavant comme suit :

61. […]
Le délai d’appel d’une déclaration d’outrage court à compter de la date de l’avis du jugement qui prononce la sanction ou de la date du jugement qui prononce la sanction si celui-ci a été rendu à l’audience.

Il s’agit d’une modification pertinente pour éviter que les justiciables soient obligés de porter préventivement un jugement en appel avant de connaître la décision qui importe le plus pour eux : l’imposition d’une sanction. Le projet de loi calque donc le principe qui s’applique pour l’appel d’une décision en matière criminelle.

Pour consulter le projet de loi : projet de Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la COVID-19 (projet de loi no 75)